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- Volume 17 (2013)
- numéro spécial 1
- Impact des successions culturales (y compris intercultures) sur l’utilisation de produits phytosanitaires
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Impact des successions culturales (y compris intercultures) sur l’utilisation de produits phytosanitaires
Résumé
Les successions culturales et l’introduction de cultures intermédiaires pièges à nitrates (CIPAN) influencent le développement des organismes nuisibles aux cultures (adventices, ravageurs et maladies). Le présent article illustre largement les désagréments qu’il est possible de rencontrer en pratique. Si, dans la plupart des cas, l’adaptation des interventions, souvent basées sur l’utilisation de produits de protection des plantes au cours de la culture suivante, permet de résoudre les problèmes engendrés, l’introduction mal raisonnée d’une CIPAN peut provoquer des effets non désirés en termes de gestion des nuisibles et en relation avec la protection des ressources en eau.
Abstract
Impact of crop sequences (including intercropping) on the use of pesticides. Crop sequences and the introduction of catch crops influence the development of agricultural pests (weeds, pests and diseases). This paper gives an overview of the problems that may arise for farmers in practice. Adaptation of crop interventions is often based on the use of plant protection products in the following crop, and these changes serve to solve problems that have been previously generated. Nevertheless, the poorly reasoned introduction of a catch crop can cause unwanted effects in terms of pest management and in relation to the protection of water resources.
Inhoudstafel
1. Introduction
1Le nitrate n’est malheureusement pas la seule substance qui contamine la ressource en eau en région wallonne. Les analyses d’eau commanditées par le Service public de Wallonie et les producteurs d’eau attestent de la présence de produits de protection des plantes (Delloye et al., 2012). Quelques-uns d’entre eux sont présents en quantité telle que la norme de potabilité (0,1 µg·l-1) est régulièrement dépassée et ils posent de réels problèmes, notamment en termes de gestion des eaux brutes. Il s’agit principalement d’herbicides racinaires comme l’atrazine (et ses métabolites ; interdite en 2005), la bentazone (usage actuel réduit aux pois, haricots et oignons ; interdite dans les autres cultures depuis 2007), le dichlorobenzamide (métabolite du dichlobénil ; interdit en 2010, pas d’usage agricole), etc. et de l’AMPA, métabolite du glyphosate, herbicide total à pénétration foliaire largement utilisé, tant par le monde agricole que par le monde non agricole.
2Le présent article identifie assez largement quelles modifications de pratiques phytosanitaires sont induites par les successions culturales et s’arrête plus spécifiquement sur les conséquences de l’introduction de cultures intermédiaires pièges à nitrate (CIPAN) dans la rotation.
2. Impact des successions culturales sur la flore adventice
3La flore adventice et ses caractéristiques biologiques sont la conséquence du système de culture mis en œuvre. Un système de culture intègre :
4– des conditions pédoclimatiques non maitrisables,
5– une série de pratiques culturales (rotation, conduite culturale, gestion de l’interculture, etc.),
6– un panel d’options chimiques (produits, positionnement, doses, techniques d’application, etc.).
7Chaque intervention influence directement la dynamique de germination et / ou le développement des adventices.
8Actuellement, le désherbage est le plus souvent raisonné sur base annuelle et en privilégiant la lutte chimique plutôt que l’utilisation active des pratiques culturales. Le désherbage est ainsi appréhendé culture par culture, les interactions entre les spéculations successives, les pratiques culturales susceptibles de modifier la dynamique des adventices et les caractéristiques propres des adventices (période de levée préférentielle, taux annuel de décroissance, profondeur de germination, etc.) n’étant que très peu prises en compte.
9Concrètement, le choix du produit est effectué en fonction de la culture (il importe de rester sélectif !) et de la flore à combattre, chaque produit ayant un spectre d’activité spécifique. Selon l’intensité de l’infestation et le stade de développement atteint par les adventices au moment du traitement, la dose appliquée peut éventuellement être modulée (revue à la baisse).
2.1. Risques liés au système de culture
10Les adventices sont souvent inféodées aux cultures de caractéristiques biologiques proches. C’est pourquoi il est fréquent de retrouver des graminées (vulpin, jouet du vent, etc.) et certaines dicotylées (véroniques, violette, lamiers, gaillet matricaire, mouron, etc.) dans les céréales. Dans le colza, les crucifères (capselle, ravenelle, moutarde, etc.), les géraniums, le coquelicot, le vulpin, etc. sont fréquemment rencontrés. Le chénopode, la morelle, la mercuriale, les renouées, les graminées estivales, etc. sont, quant à elles, régulièrement présentes dans les cultures de printemps.
11Le danger vient de systèmes de cultures trop répétitifs, favorables à l’adaptation de certaines mauvaises herbes. Des pratiques culturales répétées provoquent une augmentation de l’infestation des adventices, tandis que l’emploi répété des mêmes herbicides accentue le risque d’apparition de résistance.
2.2. Risques liés au précédent cultural
12Le principal problème réside en la gestion des repousses de la culture précédente. Celles qui n’ont pas pu être éliminées (mécaniquement, chimiquement ou par le froid) lors de l’interculture, parfois réduite dans le cas de semis d’automne, doivent alors être détruites, le plus souvent chimiquement, en cours de saison. Les repousses de chicorée, de pomme de terre, de colza et de céréales sont assez fréquentes.
3. Impact des successions culturales sur les ravageurs
13Il existe plusieurs types de risques impliquant les ravageurs : les risques liés à l’historique des parcelles, les risques liés aux précédents culturaux et les risques liés à la proximité de champs sources. Ces trois types de risques peuvent coexister et se cumuler.
3.1. Risques liés à l’historique des parcelles
14Certains ravageurs nécessitent des plantes hôtes particulières afin de pouvoir finaliser leur cycle de reproduction. Une rotation présentant une charge élevée en plantes hôtes peut se révéler néfaste en permettant une multiplication exagérée de ravageurs. Des « réserves » de ravageurs peuvent alors se constituer, notamment dans le sol. Ceci caractérise les ravageurs peu mobiles et capables de survivre en diapause dans le sol pendant plusieurs années.
15Parmi eux, les nématodes causent de multiples problèmes en betterave, pomme de terre, légumes, céréales, maïs, etc. dès que leurs plantes hôtes reviennent fréquemment dans la rotation. Les dégâts occasionnés passent souvent inaperçus car les symptômes induits sont peu spécifiques et les pertes de rendement sont souvent attribuées à d’autres causes. Actuellement, les nématodes à kyste de la pomme de terre (Globodera rostochiensis et Globodera pallida) sont les plus problématiques. Ce sont des organismes de quarantaine qui provoquent de graves dégâts principalement en Flandre occidentale et en Flandre orientale et contre lesquels l’utilisation de nématicides n’offre qu’une solution limitée.
16Les dommages engendrés par les cécidomyies des céréales (Sitodiplosis mosellana et Haplodiplosis marginata) sont souvent sous-estimés à travers tout le pays. Depuis deux ans, Haplodiplosis marginata est responsable de pertes de rendement considérables (jusqu’à 50 %) dans certains champs de la région des Polders.
3.2. Risques liés au précédent cultural
17Il peut se révéler nécessaire de lutter contre certains ravageurs dont la ponte a lieu dans le précédent cultural. Ceci concerne les ravageurs à cycle biologique court (maximum un an), sans diapause étendue sur plusieurs années et capables de survie dans le sol ou les résidus de cultures. Quelques exemples : les atomaires (Atomaria linearis) en betterave après betterave ou après épinard, les tipules (Tipula oleracea et Tipula paludosa) en diverses cultures après herbages, la mouche grise des céréales (Delia coarctata) en céréales après betteraves ou chicorées, la mouche des semis (Delia platura) en maïs après ray-grass, l’oscinie (Oscinella frit) en céréales après herbages, etc.
18D’autres ravageurs peuvent survivre dans le sol pendant plusieurs années après les pontes. C’est le cas des taupins (Agriotes spp.), pouvant causer de gros dégâts en maïs, betterave ou pomme de terre. Les herbages et le lin sont des sites de ponte favorables pour plusieurs espèces de taupins dont le développement larvaire dure trois à quatre ans. Les larves souterraines rongent la base des plantes durant cette période.
19Afin de se prémunir de ce type de risques, le traitement de semences est généralement la solution la plus appropriée.
3.3. Risques liés à la proximité de champs sources
20Outre les successions de cultures dans la même parcelle, le risque de dégâts de ravageurs peut aussi être influencé par la proximité de sites sources.
21Tous les ravageurs se déplaçant d’une parcelle à l’autre sont concernés, mais plus particulièrement ceux dont les déplacements sont limités à de courtes distances, tels que le doryphore (Leptinotarsa decemlineata) de la pomme de terre ou les cécidomyies.
4. Impact des successions culturales sur les maladies cryptogamiques
22La lutte contre les maladies cryptogamiques est fortement dépendante des conditions climatiques observées en cours de saison et des cultivars emblavés. Les conditions climatiques favorisent telle maladie plutôt qu’une autre et intensifient ou pas la sévérité des symptômes. En fonction de leur tolérance plus ou moins marquée aux maladies, les cultivars semés peuvent permettre de retarder le(s) traitement(s), de diminuer la dose, voire de se passer d’un traitement. Néanmoins, d’autres facteurs en relation avec les successions culturales, certes moins prépondérants, peuvent influencer la lutte contre les maladies.
4.1. Risques liés à l’historique des parcelles
23La plupart des maladies cryptogamiques, sinon toutes, nécessitent une plante hôte afin de finaliser leur cycle biologique. Si ces plantes sont fréquemment présentes dans la rotation, en tant que culture principale ou en tant que culture intermédiaire, le risque de voir ces maladies apparaitre de façon plus intense ou plus précoce augmente. Le piétin échaudage (Gaeumannomyces graminis) en céréales et la sclérotiniose (Sclerotinia spp.) en culture de colza et légumineuses sont des exemples classiques.
4.2. Risques liés au précédent cultural
24En céréales, le risque est extrêmement élevé de voir apparaitre de la fusariose des épis (complexe d’espèces) après un précédent maïs non labouré. Dans ce cas, il est souvent nécessaire d’effectuer un traitement fongicide supplémentaire à l’épiaison. L’efficacité de ce traitement est toujours imparfaite. De même, toujours en céréales, les précédents laissant de fortes disponibilités en azote favorisent le développement de l’oïdium (Blumeria graminis), maladie contre laquelle il faudra lutter chimiquement si l’intensité de l’attaque est trop importante.
5. Impact de l’excès d’azote en cours de saison culturale
25En culture de céréales, un excès d’azote est favorable au développement de l’oïdium et augmente le risque de verse. Le recours à un traitement régulateur de croissance devra dès lors être préconisé pour les variétés à risque.
26Si l’excès d’azote nuit, il importe de rappeler que le positionnement de l’épandage est également important. Il est en effet préférable d’appliquer l’engrais après la pulvérisation des herbicides. En effet, le bon sens recommande de ne pas stimuler la croissance des adventices avant traitement et d’éviter le gaspillage d’azote via le prélèvement par les adventices.
6. Impact de l’introduction d’une CIPAN
27Du point de vue de la « problématique nitrate », l’intérêt d’introduire une culture intermédiaire piège à nitrates (CIPAN) entre deux spéculations n’est plus à démontrer dans la plupart des cas (Deneufbourg et al., 2010 ; Destain et al., 2010 ; De Toffoli et al., 2010 ; Fonder et al., 2010 ; Vandenberghe et al., 2010 ; Justes et al., 2012 ; Deneufbourg et al., 2013 ; De Toffoli et al., 2013). Cependant, vue sous l’angle de la gestion des nuisibles, l’introduction de ces cultures peut comporter quelques désagréments à ne pas négliger. Il importe en outre de se poser les bonnes questions relatives à leur destruction.
6.1. Avantages et inconvénients
28L’introduction d’une CIPAN réduit fortement les possibilités d’interventions mécaniques généralement effectuées pendant l’interculture et utiles pour lutter contre les adventices, les repousses, les limaces, certains ravageurs ou maladies, etc. Pour être efficaces, ces techniques ont besoin de temps (répétition des interventions et positionnement en fonction des conditions climatiques), ce qui est souvent incompatible avec l’introduction d’une CIPAN. Par contre, les CIPAN n’empêchent pas l’application de certains produits de protection des plantes.
29De plus, les CIPAN modifient largement la gestion des adventices. Une CIPAN mal conduite peut enrichir la banque de graines du sol soit en laissant le champ libre au développement d’adventices par manque de concurrence, soit en produisant elle-même des semences en cas d’arrière-saison favorable, par exemple. Les semences produites ou les repousses sont alors assimilées à la flore adventice et généralement facilement éliminées (souvent chimiquement) en cours de saison dans les cultures qui suivent. A contrario, une CIPAN concurrentielle peut limiter avantageusement le développement des adventices, l’allélopathie n’étant pas à négliger non plus (Charles et al., 2012).
30Tous les types de couverts favorisent la survie et la multiplication des limaces et campagnols.
31En fonction de la CIPAN choisie, la charge en céréales, crucifères, légumineuses, etc. de la rotation augmente, tout comme les ravageurs ou maladies qui sont associés à ces plantes. Par exemple, les CIPAN céréales (et les repousses de céréales dans les CIPAN) maintiennent le potentiel infectieux de certaines maladies comme la rouille brune (Puccinia recondita) et de certains ravageurs comme les pucerons virulifères. Les crucifères comme la moutarde entretiennent le potentiel en nématodes et en Sclerotinia. À défaut de bien choisir sa CIPAN dans ce contexte, il pourra se révéler nécessaire de gérer chimiquement ces organismes nuisibles, soit en adaptant la dose de produit (à la hausse), soit en intervenant plus tôt, etc.
6.2. De la destruction des CIPAN
32Plusieurs techniques de destruction existent et montrent toutes des avantages et des inconvénients en termes d’impact sur le sol et sur l’environnement, de cout et de débit de chantier, d’efficacité contre les espèces implantées (Tableau 1), de dépendance vis-à-vis des conditions climatiques, etc.
33Parmi les diverses techniques, l’application d’un herbicide à base de glyphosate est fréquemment usitée, principalement dans le contexte particulier de non-labour. Pour l’agriculteur, cette pratique allie souplesse de positionnement, faible cout, débit de chantier élevé et efficacité sur la plupart des CIPAN, ainsi que l’absence d’action physique sur le sol. Cependant, en cas d’usage à partir du 15 novembre (date seuil pour la destruction de CIPAN), la température (basse, donc peu propice à la dégradation du glyphosate par le sol) et la pluviométrie (élevée, donc propice à la lixiviation rapide du glyphosate) constituent autant de facteurs de risque pour la contamination des eaux. Enfin, ressortir son pulvérisateur à une époque inhabituelle présente un inconvénient pour l’agriculteur.
7. Conclusion
34Considérant les exemples exprimés ci-dessus, il apparait que les choix effectués par les agriculteurs en termes de successions culturales influencent de façon non négligeable le recours ultérieur aux produits de protection des plantes. Il suffit généralement d’adapter le traitement phytosanitaire (substitution de produit, ajustement de la dose, décalage du positionnement, modification du nombre de traitements, etc.) au cours de la culture qui suit pour épargner ces désagréments. Éviter la monoculture et certaines successions culturales permet également d’esquiver les problèmes.
35L’introduction de CIPAN peut poser trois inconvénients majeurs s’il n’y est pas fait attention. Cela limite les possibilités d’intervention mécanique bénéfiques pour la gestion des adventices (résistance notamment) et certains ravageurs. Les CIPAN peuvent alourdir la charge en plantes hôtes pour certains ravageurs et maladies et, par voie de conséquence, l’intensité de la lutte chimique qui pourrait suivre. Enfin, en l’absence de labour, leur destruction dépend fortement de l’usage du glyphosate, substance déjà fréquemment retrouvée dans la ressource en eau.
36La mise en place d’une CIPAN n’est donc pas à prendre à la légère. Le choix de l’espèce devrait être raisonné dans le cadre de la rotation et la méthode de destruction devrait être envisagée dès l’implantation.
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Over : François Henriet
Centre wallon de Recherches agronomiques. Département Sciences du Vivant. Unité Protection des Plantes et Écotoxicologie. Bâtiment Rachel Carson. Rue du Bordia, 11. B-5030 Gembloux (Belgique). E-mail : f.henriet@cra.wallonie.be
Over : Michel De Proft
Centre wallon de Recherches agronomiques. Département Sciences du Vivant. Unité Protection des Plantes et Écotoxicologie. Bâtiment Rachel Carson. Rue du Bordia, 11. B-5030 Gembloux (Belgique).