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- Volume 14 (2010)
- Numéro spécial 1
- Les cultures intermédiaires pièges à nitrate (CIPAN) et engrais verts : protection de l'environnement et intérêt agronomique
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Les cultures intermédiaires pièges à nitrate (CIPAN) et engrais verts : protection de l'environnement et intérêt agronomique
Résumé
Au cours du temps, et en relation avec l'évolution de la législation environnementale, la notion d'engrais vert est supplantée par celle de culture intermédiaire piège à nitrate (CIPAN). Les CIPAN (moutarde, phacélie, ray-grass, seigle) ont, au cours de leur culture en automne, une capacité importante de piégeage du nitrate contenu dans le sol (parfois > 100 kg N.ha-1) et limitent ainsi le risque de lixiviation. Cette capacité est propre à chaque espèce, mais également à la phytotechnie qui leur est appliquée, principalement la date de semis. La restitution de cet azote piégé, liée aux caractéristiques physico-chimiques de la biomasse enfouie et mesurée grâce au marquage isotopique, 15N apparait toutefois limitée (souvent moins de 45 % de l'azote enfoui) et ne se traduit pas nécessairement par une diminution du conseil de fumure pour la culture suivante. Il n'en reste pas moins qu'un stockage d'azote et de carbone dans le sol est susceptible d'avoir, sur le long terme, un effet bénéfique tant sur la minéralisation naturelle de l'azote que sur le taux d'humus et les propriétés structurales du sol.
Abstract
Autumn cover crops and green manures: environment protection and agronomic interest. Due to the evolution of the environmental policy, practice of green manure cropping has been replaced by autumn cover crops in order to take up nitrate residues of the soil. These crops (mustard, phacelia, rye-grass, rye) show a high ability to take up N (sometimes more than 100 kg N.ha-1), leading to a decreasing threat for nitrate leaching. Such an ability is however related to species, but also to cropping practices mainly sowing date. Subsequent mineralization (measured with labeling 15N technic) of this organic-green manure-N, influenced by physical and chemical characteristics of the ploughed biomass, seems however limited (less than 45% of N ploughed in the soil) and does not lead obviously to a reduction of the N advice for the following crop. Nevertheless, stocking of organic N and C in the soil is expected to have a beneficial long-term effect on both mineralization (providing more N) and soil humus content leading to improve structural properties of soil.
Table des matières
1. Introduction
1Jusqu'au début des années 1990, lorsqu'une culture intermédiaire était implantée après la culture principale, l'objectif était soit d'enrichir en azote le profil pour la culture suivante, soit de produire un maximum de matière organique afin d'enrichir le sol en humus (Geypens et al., 1995).
2Ce n'est qu'avec la préoccupation de satisfaire à la Directive Nitrates, et donc de limiter la lixiviation de nitrate en période d'interculture, que la fonction de piège à nitrate a trouvé toute son importance.
3Actuellement, la culture pure de légumineuses comme la vesce a presque entièrement disparu de nos paysages d'automne, pour faire place à des couverts ne comportant plus de légumineuses ou très peu. De plus, une imposition récente du Programme de Gestion Durable de l'Azote (PGDA) en région wallonne porte sur la proportion minimale des terres qui ne seront ré-emblavées qu'au printemps et qui doivent à l'automne être couvertes par des CIPAN (cultures intermédiaires pièges à nitrates).
4Parmi ces cultures, la moutarde est de loin la plus pratiquée, mais on rencontre aussi la phacélie, le ray-grass, l'avoine de printemps, le seigle, etc.
5L'objectif de cet article est de répondre à la question : " La CIPAN est-elle aussi efficace dans son rôle de fourniture en éléments fertilisants, et surtout d'azote, que dans sa fonction protection de l'environnement ? "
2. Matériel et méthodes
6Les expérimentations reprises dans cet article proviennent de différents travaux qui ont été menés depuis 1990 au Département Production végétale du CRA-W et qui avaient des objectifs multiples :
7− situer le niveau de production de biomasse de divers couverts automnaux couramment installés en région wallonne ces 20 dernières années,
8− évaluer leur potentialité en termes de prélèvement d'azote dans le profil,
9− déterminer leurs caractéristiques chimiques permettant d'en prévoir l'évolution lors de leur enfouissement,
10− suivre l'évolution de leur décomposition après enfouissement en ciblant particulièrement le devenir de l'azote (par marquage isotopique 15N) et établir un bilan complet de cet azote.
11Ces diverses expérimentations ont été menées au champ en parcelles (min. 5 m x 10 m) et en micro-parcelles (5 m2) pour ce qui concerne le marquage isotopique 15N.
12Outre l'évaluation de la quantité de matière sèche aérienne produite par les cultures (MS), on y a déterminé les caractéristiques suivantes : N (total et Kjeldahl), C (méthode Dumas), C/N, taux de cellulose et lignine (suivant Van Soest et al., 1968).
13Pour les cultures marquées avec 15N, du 15NH415NO3 enrichi à 5.5 At%15N a été utilisé. La teneur en azote et l'abondance isotopique des échantillons (végétaux) ont été mesurées par un spectromètre VG SIRA 12, ainsi que par un spectromètre Europa Scientific couplé avec un appareil de Dumas.
14Le stockage d'azote de la biomasse dans le sol a été évalué de la même manière tant pour l'azote total que pour les différentes fractions suivant Bremner, 1965.
15Le suivi de l'azote minéral (N-NO3- et N-NH4+) du sol a été réalisé suivant la méthode de Guiot et al. (1992).
16Enfin, l'efficience de fourniture en azote pour la culture suivante a également été évaluée sur base du logiciel AZOBIL (INRA, F) mis au point par Machet et al. (1990) appliqué à de nombreuses situations échantillonnées en vue du conseil de fumure et analysées pour leur contenu en nitrate du sol (Guiot et al., 1992).
3. Résultats
3.1. Estimation de la production de biomasse et de la quantité d'azote piégée par différents couverts hivernaux
17L'estimation de la quantité d'azote piégée peut être effectuée de manière directe ou indirecte. Pour le premier cas, on analyse la biomasse produite par la CIPAN et son contenu en azote total, ce qui permet d'obtenir une estimation de l'azote contenu dans la partie aérienne et les grosses racines, une partie du système racinaire échappant à cette estimation. Dans le deuxième cas, on compare les contenus en azote minéral d'un profil de sol (couche de 0 à 150 cm) couvert ou non par une CIPAN. Dans ce cas, on ne détermine que la minéralisation nette de l'azote.
18Le tableau 1 donne un aperçu de mesures en azote réalisées fin automne (± 20 novembre) entre 1990 et 2007 pour diverses espèces de cultures intermédiaires semées à des dates préconisées.
19Pour la vesce, seule légumineuse expérimentée, alors que le contenu en azote apparait élevé, son prélèvement d'azote dans le profil du sol apparait nettement inférieur aux trois CIPAN classiques suivantes, ceci étant bien sûr dû à la fixation symbiotique et au développement racinaire en profondeur plus limité.
20Pour la moutarde, la phacélie et le ray-grass, on peut observer une production de biomasse très variable, entrainant une large fourchette de variation du prélèvement d'azote; ceci peut être lié directement à la disponibilité en azote. La méthode indirecte semble restreindre cette fourchette de variation, mais il faut préciser que cette évaluation ne provient pas du même set de données. Il est à remarquer que le seigle peut s'avérer très efficace (94 kg N.ha-1 capté), alors que le potentiel d'un blé d'hiver, même semé tôt début octobre, n'excède pas 40 kg N.ha-1.
21Généralement, c'est la moutarde qui rencontre le plus de succès chez les agriculteurs, en particulier en région limoneuses : avant la culture de la betterave, dans deux situations sur trois, une culture de moutarde est implantée. Dans une enquête réalisée annuellement en vue d'établir un conseil moyen de fumure (± 200 situations analysées chaque année), on observe que le profil en azote minéral au printemps est moins sensiblement riche par rapport à une absence de CIPAN, notamment dans des situations où un effluent à action rapide (par exemple, fientes de poules) a été appliqué (Tableau 2). De plus, l'azote apparait plus distribué en profondeur en l'absence de CIPAN.
22La production de biomasse et en conséquence le prélèvement d'azote par une CIPAN sont également fortement influencés par sa date de semis, comme le montre clairement le tableau 3 pour la moutarde. Après début septembre, biomasse et prélèvement d'azote sont fortement réduits. Une étude hollandaise a montré qu'à partir du 1er septembre, la capacité de prélèvement de la moutarde diminue de 2 kg N.ha-1 par jour de report du semis (Vos, 1992). Dans le même ordre d'idée, les travaux de Renard et al. (2007) ont montré qu'après le 20 septembre, seul le seigle (comparé au blé d'hiver et au ray-grass) présentait encore une capacité de prélèvement rapide et prolongée du nitrate dans le sol.
3.2. Caractéristiques chimiques de la biomasse azotée produite par l'engrais vert et sa susceptibilité à la minéralisation
23Les caractéristiques chimiques déterminantes pour évaluer la susceptibilité à la minéralisation de la biomasse azotée de la CIPAN sont son contenu en N, son rapport C/N et les teneurs en lignine et cellulose (Tableau 4).
24Les fourchettes de variations sont importantes pour l'ensemble des caractéristiques ; les biomasses avec un C/N élevé ont généralement des taux de cellulose et de lignine élevés. C'est ce que l'on a pu observer lorsqu'on a comparé une moutarde ayant reçu une fumure minérale de 80 kg N.ha-1 à une moutarde n'en ayant pas reçu (Tableau 5).
25De plus, généralement, ces caractéristiques évoluent au cours du temps et pour la moutarde, implantée très tôt (mi-aout), le rapport C/N est souvent supérieur à 20 et le contenu en lignine de plus de 3 % (exprimés sur la matière sèche).
26On peut prévoir que la minéralisation de l'azote de la biomasse sera rapide dans le cas où la teneur en azote est élevée et le taux de lignine bas, soit pour des CIPAN « jeunes » ou des vesces. Afin de le vérifier, une expérimentation avec marquage isotopique au 15N a été réalisée : des engrais verts – CIPAN ont été marqués et enfouis préalablement à une culture de betterave dans des parcelles de 12 m2, le taux de minéralisation a été estimé après la culture de betterave (sur base du bilan, azote présent au départ, azote restant dans le sol et azote exporté par la culture + pertes, tableau 6).
27Dans cette étude, le lien avec les caractéristiques des biomasses et le potentiel de minéralisation a été difficile à établir, même si la moutarde utilisée présentait un C/N plus faible (12-13) que les deux autres CIPAN (22 en moyenne).
28Par ailleurs, la quantité d'azote provenant des CIPAN, prélevée par la culture de betterave (mesurée en octobre à la récolte de celle-ci) s'avère peu élevée (maximum de 45 kg N.ha-1) par rapport à la biomasse enfouie.
29Il apparait donc qu'une proportion généralement majoritaire de l'azote enfoui des CIPAN est récalcitrante à la minéralisation, à l'échelle de l'année d'enfouissement. Grâce au fractionnement de cet azote suivant Bremner (1965), par hydrolyse avec HCl, on distingue trois compartiments :
30– Nsad, fraction d'azote soluble dans l'acide et distillable (constituée de sucres aminés),
31– Nsand, fraction soluble dans l'acide et non distillable (constituée majoritairement d'acides aminés),
32– Nia, fraction insoluble dans l'acide (cycles N complexes, liés aux acides humiques).
33Le tableau 7 donne la répartition dans ces différentes fractions de l'azote résiduaires des trois CIPAN considérées.
34Les différences entre les CIPAN apparaissent peu discriminantes et c'est clairement la fraction acides aminés (Nsand) qui prédomine.
4. Discussion
35S'il apparait clairement que la CIPAN est efficace dans sa fonction de prélèvement d'azote, et donc permet de récupérer de l'azote présent dans le profil du sol ou produit par la minéralisation à l'automne, il est évident que cet azote immobilisé est loin d'être restitué intégralement à la culture suivante. De plus, comme l'a montré le tableau 2, le contenu en azote minéral du sol au printemps peut être largement plus faible en cas de culture de CIPAN. Cela se confirme notamment lorsqu'on examine les données disponibles provenant des vastes enquêtes annuelles d'échantillonnage de sol en vue de l'établissement des conseils moyens de fumure pour la betterave. Le contenu en azote du profil (0-90 cm) avec CIPAN est souvent moins riche au printemps que sans CIPAN. La différence est variable en fonction des apports ou non de matières organiques à l'automne (0 à plus de 60 kg N.ha-1). Le devenir de l'azote piégé par la CIPAN peut être évalué de la manière suivante (Figure 1).
36Ce schéma apparait tout à fait en concordance avec ce que proposent les logiciels AZOBIL et AZOFERT (INRA, F), comme adaptation de la fumure, pour tenir compte de l'effet d'un enfouissement d'engrais vert (Tableau 8), valeurs établies pour les conditions belges.
37L'intérêt de la CIPAN ne se limite cependant pas au piégeage de l'azote, il faut aussi considérer le stockage de matière azotée et carbonée dans le sol. La figure 1 montre que plus de la moitié de la biomasse azotée est immobilisée, susceptible de se minéraliser au cours du temps (plusieurs années) et donc d'accroître la capacité de fourniture naturelle d'azote par le sol.
38Par ailleurs, si, comme dans cet exemple, on considère que 45 kg.ha-1 N sont immobilisés, compte tenu du stade ultime d'évolution de la matière organique dans le sol, et d'un rapport C/N proche de 10, c'est quasi 450 kg.ha-1 C qui sont aussi stockés dans l'humus.
39Enfin, des expérimentations de long terme, avec culture systématique d'engrais verts avant la plante tête de rotation, ont montré que la stabilité structurale était sensiblement améliorée (Destain, 2008, présentation dans le cadre d'une Journée TMCE).
40Remerciements
41Les auteurs tiennent à remercier tout particulièrement Véronique Ninane et Sophie Renard, ainsi que l'ensemble des équipes de terrain et de laboratoire du CRA-W qui ont fourni les données.
Bibliographie
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Pour citer cet article
A propos de : Jean-Pierre Destain
Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W). Département Production végétale. Rue du Bordia, 4. B-5030 Gembloux (Belgique). E-mail : destain@cra.wallonie.be
A propos de : Véronique Reuter
Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W). Département Production végétale. Rue du Bordia, 4. B-5030 Gembloux (Belgique).
A propos de : Jean-Pierre Goffart
Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W). Département Production végétale. Rue du Bordia, 4. B-5030 Gembloux (Belgique). E-mail : goffart@cra.wallonie.be