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Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

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Véronique Ninane, Radegonde Mukandayambaje & Gilbert Berben

Probiotiques, aliments fonctionnels et kéfir : le point sur la situation règlementaire en Belgique et sur les avancées scientifiques en matière d'évaluation des effets santé du kéfir

(volume 13 (2009) — numéro 3)
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Reçu le 20 octobre 2008, accepté le 6 janvier 2009

Résumé

En Belgique et, de façon générale, en Europe, les conditions de mise sur le marché des probiotiques sont définies en fonction de leur application : médicamenteuse ou alimentaire. Les probiotiques utilisés comme supplément alimentaire, ainsi que les aliments fonctionnels, sont régis par la législation alimentaire. Celle-ci prévoit, au plus tard pour le 31 janvier 2010, la création d'une liste positive d'allégations de santé autorisées dans laquelle seront définies leurs conditions d'utilisation. Pour toute autre allégation, de même que pour une application médicamenteuse, la preuve scientifique de l'effet annoncé doit être fournie. Le kéfir a fait l'objet d'études visant à évaluer ses potentialités à améliorer la santé de l'homme. Elles portent sur les potentialités probiotiques de souches bactériennes isolées de kéfir ainsi que sur l'incidence positive du kéfir, ou de certains de ses composants chimiques (matière grasse, polysaccharide), sur des aspects spécifiques de la santé. Les aspects de la santé les plus concernés sont liés au développement de tumeurs cancéreuses, aux défenses immunitaires, à la réponse allergique du système immunitaire et à la cholestérolémie. Les potentialités du kéfir à améliorer la santé de l'homme ont été évaluées sur des cellules humaines et sur des animaux de laboratoire mais n'ont, à ce jour, pas été confirmées sur l'homme.

Mots-clés : probiotiques, aliments fonctionnels, allégation de santé

Abstract

Probiotics, functional foods and kefir: a review of the Belgian regulation and the scientific progress in evaluating the beneficial health effects of kefir. In Belgium and more widely in Europe, conditions for putting probiotics on the market are defined on the basis of their application: medicinal or food use. Probiotics used as food supplements, as well as functional foods, are governed by food legislation. By the 31st of January 2010 at the latest, new restrictions will be introduced governing the publication of positive health claims that are authorized to be made about foods and the conditions for using them. For any other health claim, as well as for a medicinal application, the scientific evidence of the claimed effect must be provided. The potential of kefir to promote human health has been subject to various studies. These aimed to evaluate the effectiveness of probiotic strains isolated from kefir and the positive action of kefir, or some of its chemical components (fatty matter, polysaccharides), on specific health features predominantly related to cancerous tumour development, immunity, allergy and cholesteromia. The abilities of kefir to improve human health were evaluated on human cells and on laboratory animals but have not yet been confirmed by human trials.

Keywords : kéfir, kefir, législation, legislation, probiotics, functional foods, health claim

1. Introduction

1Le kéfir est un lait fermenté traditionnel qui véhicule la réputation d'être bénéfique à la santé. Fondée sur des expériences personnelles, cette réputation est relayée par des professionnels de la santé, tant dans sa région d'origine qu'au delà. Selon Farnworth (1999), le kéfir est quotidiennement servi à titre " d'activateur de la santé " dans des hôpitaux russes et y est utilisé comme agent thérapeutique pour certaines infections. D'après cet auteur, les textes russes de Batinkov (1971)1, Bukhgalter (1974)2, Besednova et al. (1977)3 et Sukhov et al. (1986)4 font état de l'utilisation curative du kéfir dans le traitement de maladies digestives, de bronchites et de pneumonies. Ailleurs, un membre du corps académique de l'Ecole de médecine de l'Université d'Osaka (Japon) en préconise la consommation comme mesure préventive d'infection par les souches entérohémorragiques de Escherichia coli O-157 (Ota, 1999), tandis que le Docteur Jones, professeur en diététique et nutrition à l'Université McGill de Montréal (Canada), le cite comme exemple d'aliment fonctionnel de type probiotique (Jones, 2002).

2La réputation du kéfir est, parallèlement, largement diffusée au travers du réseau Internet dont certains sites (http://fr.wikipedia.org, http://www.island.be ou http://www.kefir.net, par exemple) l'associent explicitement à un probiotique ou à un aliment fonctionnel. Cependant, pour s'afficher comme tel et s'inscrire dans le marché européen, et belge en particulier, des probiotiques et des aliments fonctionnels, il doit répondre aux règles de commercialisation en vigueur qui reposent notamment sur le fondement scientifique de l'allégation de santé. Les potentialités bénéfiques à la santé du kéfir ont suscité la curiosité du monde scientifique et l'action du kéfir, ou de certains de ses composés, sur des aspects déterminés de la santé humaine, ont fait l'objet d'études scientifiques. L'objectif de cet article est de situer l'état d'avancement de ces travaux dans le contexte règlementaire belge.

2. Notions de probiotique et d'aliment fonctionnel

2.1. Probiotiques

3La notion de probiotique trouve son origine dans les travaux de Metchnikoff, microbiologiste et Prix Nobel de Médecine au début du 20e siècle. D'après la synthèse de ses travaux réalisée par Tannock (2002), Metchnikoff associa la longévité des populations de l'Europe de l'Est à une importante consommation de lait fermenté. Il attribua cette longévité au remplacement des bactéries intestinales qu'il qualifiait de " putréfiantes " par les bactéries " acidifiantes " des laits fermentés. Selon Metchnikoff, les bactéries intestinales produisaient en effet des substances toxiques responsables du vieillissement. Dès lors, pour prévenir l'auto-intoxication générée par les bactéries " putréfiantes " de l'intestin, et donc augmenter l'espérance de vie, Metchnikoff proposa d'ingérer des bactéries lactiques vivantes. L'argumentation scientifique de Metchnikoff est aujourd'hui mise en doute d'une part à cause de l'absence de registre d'état civil permettant de vérifier la longévité réelle de ces populations et, d'autre part, par le rôle avéré positif, et non négatif comme le supposait Metchnikoff, de la plupart des micro-organismes de la flore intestinale sur l'hôte (Roué, 1996). Entretemps, l'idée d'ingérer des micro-organismes pour améliorer la santé de l'hôte a été relayée par d'autres scientifiques qui ont introduit, puis précisé la notion de " probiotique ".

4Le terme probiotique a été introduit par Lilly et Stillwell (1965) pour décrire les substances, produites par un micro-organisme, qui stimulaient le développement d'autres micro-organismes. Depuis, la définition des probiotiques a évolué au gré de l'état des connaissances de leurs mécanismes d'action sur la santé. En 1974, Parker élargit la notion de probiotiques aux micro-organismes qui contribuent au maintien de l'équilibre de la flore intestinale, englobant ainsi les micro-organismes et les métabolites microbiens produits. Quinze ans plus tard, Fuller (1989) redéfinit les probiotiques comme étant : " des préparations microbiennes vivantes utilisées comme additif alimentaire qui ont une action bénéfique sur l'animal hôte en améliorant sa balance microbienne intestinale ". Plus récemment, un groupe d'experts européens a proposé d'élargir la définition pour y inclure les micro-organismes ayant des mécanismes d'action indépendants d'une modification de la microflore intestinale (Salminen et al., 1998). Proposition qui a été adoptée par le groupe de travail mandaté, conjointement par l'Organisation des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation et par l'Organisation Mondiale pour la Santé, pour faire le point sur la question. Ce groupe d'experts internationaux définit en effet les probiotiques comme étant " des micro-organismes vivants qui, administrés en quantités adéquates, sont bénéfiques pour la santé de l'hôte " (FAO/WHO, 2001).

2.2. Aliments fonctionnels

5Le concept d'aliment fonctionnel est né au Japon dans les années 1980. A cette époque, l'accroissement des maladies liées à l'alimentation, et en particulier celles de la population vieillissante, conduit le gouvernement japonais à subsidier un programme de recherches visant à identifier les fonctions physiologiques des aliments. La mise en évidence de fonctions biomodulantes intervenant dans le contrôle de l'homéostasie de l'organisme, puis l'identification de composés bioactifs et la détermination des facteurs de santé qu'ils améliorent ont défini une nouvelle catégorie d'aliments identifiée par le terme " aliment fonctionnel ". Pour les instances japonaises, l'aliment fonctionnel fait référence à un aliment de consommation courante qui, par la présence de composés bioactifs, a un effet bénéfique sur un aspect spécifique de la santé, supérieur à la plupart des aliments conventionnels. Les composés alimentaires, présents naturellement dans l'aliment ou ajoutés, considérés au pays du soleil levant comme fonctionnels ou potentiellement fonctionnels comprennent, entre autres, des fibres alimentaires (inuline), des oligosaccharides, des polyalcools (erythritol, sorbitol, maltitol, lactitol), des acides gras polyinsaturés (EPA, DHA, CLA), des peptides, des protéines, des glycosides, des isoprénoïdes (caroténoïdes dont le lycopène), des vitamines, des alcools (oryzanol, octacosanol), des phénols (polyphénols ou flavonoïdes du thé), des cholines (lécithines de soja et d'œuf), des minéraux et des bactéries lactiques (Shinohara, 1995). Dès 1991, le législateur japonais autorise la distinction commerciale des aliments fonctionnels par le label FOSHU pour Foods for Specified Health Use et en détermine les conditions d'octroi.

6Importé en Europe dans les années 1990, le concept d'aliment fonctionnel s'y est développé en prenant, dans l'esprit du public, une signification plus large. Pour le consommateur européen, les aliments fonctionnels représenteraient en effet simplement une alternative " plus saine " à l'alimentation classique (Renard, 2000). Pour les Services fédéraux belges des affaires scientifiques, techniques et culturelles toutefois, un aliment est considéré comme fonctionnel " si l'on a pu démontrer qu'il influence positivement, et au-delà de son effet nutritionnel classique, une ou plusieurs fonctions de l'organisme de manière à promouvoir le maintien d'un état de bien-être ou de santé, ou de réduction du risque d'une maladie " (SSTC, 2002).

3. Contexte règlementaire

7En Europe, les conditions de mise sur le marché des probiotiques sont définies en fonction de leur application : médicamenteuse, alimentaire ou zootechnique. La description du contexte règlementaire sous objet est centrée sur celles qui concernent l'homme et ne prend en conséquence pas en compte une application zootechnique qui fait l'objet d'une règlementation spécifique.

3.1. Application médicamenteuse

8Pour une application médicamenteuse, c'est-à-dire pour prévenir ou guérir des maladies, les conditions de mise sur le marché européen sont fixées par les Directives 65/65/CEE et 2001/83/CE. Ces textes de loi européens sont transcrits dans le droit belge par l'intermédiaire de la Loi du 25 mars 1964 sur les médicaments et de l'Arrêté royal du 14 décembre 2006 relatif aux médicaments à usage humain et vétérinaire.

9Un médicament ne peut être commercialisé sans autorisation de mise sur le marché octroyée par le Ministre de la Santé publique ou par son délégué, ou par la Commission européenne, après l'évaluation de sa sécurité, de son efficacité et de sa qualité. Ces paramètres sont déterminés sur base, entre autres, des résultats d'essais pharmaceutiques, précliniques et cliniques. Ce sont des essais couteux, qui doivent être régulièrement reproduits pour maintenir l'enregistrement du médicament. Ceci explique probablement le petit nombre de probiotiques enregistrés dans la liste des médicaments autorisés en Belgique et publiée au Moniteur Belge ; seuls deux probiotiques y figurent actuellement (septembre 2008) : le Lacteol® et l'Enterol®. Il s'agit de préparations à base de souches de Lactobacillus acidophilus et de Saccharomyces boulardii, respectivement (Maloteaux, 2008).

3.2. Application alimentaire

10Par le fait qu'ils sont " destinés à être ingérés par l'être humain ", les probiotiques utilisés comme supplément alimentaire, de même que les aliments fonctionnels, sont considérés comme des denrées alimentaires et sont régis par la législation y attenant. Les probiotiques et les aliments fonctionnels doivent à ce titre répondre aux exigences de sécurité alimentaire fixées par le Règlement (CE) n°178/2002. Les nouveaux aliments et ingrédients alimentaires, c'est-à-dire les aliments et les ingrédients alimentaires, dont ceux composés de micro-organismes, pour lesquels la consommation humaine est jusqu'ici " restée négligeable " dans la Communauté, doivent préalablement satisfaire aux exigences du Règlement (CE) n°258/97. Dans la mesure où le kéfir est un aliment traditionnel consommé dans certains Etats membres, il répond de facto aux exigences sécuritaires de ces règlements.

11La présentation commerciale des aliments et la publicité qui en est faite doivent respecter certaines règles. La Directive 2000/13/CE en dicte les principes généraux, transcrits dans la législation belge par l'Arrêté royal du 17 avril 1980 concernant la publicité pour les denrées alimentaires, par la Loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, par l'Arrêté royal du 8 janvier 1992 concernant l'étiquetage nutritionnel des denrées alimentaires et par l'Arrêté royal du 13 septembre 1999 relatif à l'étiquetage des denrées alimentaires préemballées.

12Concernant les règles relatives à l'utilisation d'une allégation de santé dans la publicité pour les denrées alimentaires, il ne peut être fait " référence à un effet de la denrée alimentaire sur la santé ou sur le métabolisme si la preuve de cette allégation ne peut être fournie " (A.R. du 17 avril 1980). Les conditions d'utilisation d'une allégation de santé, ou relative à la réduction d'un risque de maladie, dans la Communauté européenne sont précisées dans le Règlement (CE) n°1924/2006, modifié par les Règlements (CE) n°107/2008 et 109/2008. D'application depuis le 1er juillet 2007, toutes les dispositions règlementaires ne sont pas encore effectives en date du 4 juillet 2008. Ce règlement prévoit ainsi la création, au plus tard pour le 31 janvier 2010, d'une liste positive d'allégations de santé autorisées dans laquelle seront définies leurs conditions d'utilisation. Les allégations reprises dans la liste pourront être faites sans autre procédure d'autorisation, pour autant qu'elles soient fondées (" reposent sur des preuves scientifiques généralement admises ") et bien comprises par le consommateur moyen.

13Pour d'autres allégations de santé ou pour celles relatives à la réduction d'un risque de maladie, une demande d'autorisation doit être introduite auprès de l'autorité nationale compétente (le Ministre de la Santé publique). L'autorisation sera octroyée après une évaluation scientifique de la pertinence de la demande par l'Autorité européenne de Sécurité des Aliments (EFSA). A charge du demandeur de fournir la preuve scientifique que l'allégation répond aux critères définis dans le règlement. Les exigences au niveau du contenu scientifique et de la présentation de la demande d'autorisation sont fixées dans le Règlement (CE) n°353/2008. Elles incluent la réalisation d'études sur l'être humain, auxquelles elles donnent la prépondérance.

14L'EFSA a, jusqu'à présent (septembre 2008), rendu neuf avis sur la justification scientifique de demandes d'allégation de santé. Seul un de ces avis est favorable : il concerne une réduction du cholestérol sanguin par des stérols végétaux et la diminution du risque de maladie coronaire que cette réduction de cholestérol sanguin peut produire (EFSA, 2008).

4. Données scientifiques en matière d'évaluation des effets santé du kéfir

4.1. Souches probiotiques

15Pressentie comme source de souches probiotiques, la microflore des grains de kéfir a été utilisée pour en isoler des candidats potentiels. Les potentialités probiotiques des souches isolées de kéfirs ont été évaluées sous l'angle traditionnel de la prévention et du traitement de désordres gastro-intestinaux.

16Santos et al. (2003) ont évalué leur potentiel primaire in vitro par l'examen de paramètres impliqués dans deux modes d'action intervenant dans la régularisation de troubles gastro-intestinaux : l'exclusion compétitive de l'adhérence de pathogènes à la muqueuse intestinale et la production de substances antimicrobiennes. Deux des souches isolées de kéfir par ces auteurs montrent une capacité d'adhésion à des cellules coliques humaines et une activité antimicrobienne à l'encontre de plusieurs souches pathogènes.

17Dans le même ordre d'idées, Golowczyc et al. (2007) ont évalué les potentialités de souches de Lactobacillus kefiri isolées de grains de kéfir à prévenir l'adhésion et l'invasion de cellules coliques humaines par une souche de Salmonella enterica et en ont étudié le mode d'action. Contrairement à l'effet attendu d'une action par exclusion compétitive, l'adhésion de Lb. kefiri aux cellules épithéliales ne prévient pas celle de S. enterica et ne réduit pas l'invasion des cellules par le pathogène. Par contre, cultivées avec S. enterica avant l'infection, les souches de Lb. kefiri capables d'agrégation avec ce pathogène en réduisent la capacité d'invasion. Ces auteurs rapportent aussi que les protéines de surface des souches de Lb. kefiri réduisent les capacités d'adhésion et d'invasion de cette souche de S. enterica, indépendamment de leurs propriétés d'agrégation avec le pathogène. Golowczyc et al. (2008) ont par ailleurs isolé de grains de kéfir des souches de Lactobacillus plantarum qui ont un pouvoir inhibiteur à l'encontre de diverses souches pathogènes ou potentiellement pathogènes.

18Les souches isolées par Santos et al. (2003) ainsi que celles de Lb. plantarum isolées par Golowczyc et al. (2008) présentent une résistance à l'acidité et à la bile qui laisse entrevoir la possibilité d'une survivance lors du passage dans le tractus gastro-intestinal. Leur survivance et l'efficacité de leur activité probiotique in vivo, et en particulier sur l'homme, n'ont toutefois pas été éprouvées.

4.2. Composés fonctionnels

19Le plus grand nombre d'études porte sur les effets santé du produit de fermentation ou de certaines de ses fractions (petit lait, matière grasse, polysaccharide, etc.) et s'inscrit dans une perspective plus large que celle des probiotiques. Le potentiel anticarcinogène du kéfir est dans cette perspective l'aspect relatif à la santé qui a été le plus étudié.

20Certaines études ont mis en évidence un effet inhibiteur du kéfir sur le développement de tumeurs et la prolifération de cellules cancéreuses. Shiomi et al. (1982) ont ainsi observé que l'administration orale d'un polysaccharide soluble isolé de grains de kéfir, vraisemblablement du kéfirane, inhibe la croissance de tumeurs induites chez des souris. L'effet observé à l'encontre de ce type de tumeur a été réitéré sur des souris avec la prise orale de kéfir ou de jus de soja fermenté par des grains de kéfir (Liu et al., 2002). Chen et al. (2007) ont par ailleurs observé que du petit lait de kéfir, ajouté à des cultures de cellules d'origine humaine, réduit la prolifération des cellules mammaires cancéreuses tout en ne modifiant pas la prolifération des cellules épithéliales saines. Dans cette expérimentation, le petit lait de kéfir a un pouvoir anticarcinogène sur les cellules mammaires supérieur à celui du yaourt : il agit sur la prolifération des cellules cancéreuses à plus faibles doses et de façon plus intense.

21Parallèlement à l'effet inhibiteur sur les tumeurs des souris, Shiomi et al. (1982) ont constaté que le polysaccharide soluble extrait du kéfir est dépourvu d'effet cytotoxique direct sur les cellules cancéreuses et en ont déduit que son action doit être dirigée par l'intermédiaire de l'hôte. La même équipe a ensuite établi une relation entre l'action antitumorale observée et une stimulation de l'immunité à médiation cellulaire (Murofushi et al., 1983). Dans le deuxième cas d'étude oncologique sur des souris, une lyse apoptotique des cellules tumorales et une stimulation de l'immunité humorale dans les tissus intestinaux, induites par l'ingestion du kéfir ou du soja fermenté, ont été rapportées (Liu et al., 2002). Une stimulation de l'immunité intestinale due à l'ingestion de kéfir traditionnel a été confirmée dans d'autres laboratoires sur de jeunes rats et sur des souris (Thoreux et al., 2001 ; Vinderola et al., 2006).

22C'est l'aspect préventif des effets anticarcinogènes du kéfir qui a été examiné par Nagira et al. (2002) sur différents types de cellules humaines. Ces auteurs ont montré qu'un extrait aqueux de kéfir limite les dommages cellulaires induits par exposition à des rayons ultra-violets. Ils ont mis en évidence un effet de l'extrait de kéfir sur plusieurs facteurs intervenant soit dans la destruction des cellules, soit dans leur réparation. Les plus révélateurs sont la diminution rapide des radicaux libres générés et l'accroissement de l'activité d'un système de réparation de l'ADN endommagé, l'excision des dimères de thymine. La propriété antioxydante du kéfir a également été montrée en modèle animal. Chez des souris, l'ingestion de kéfir diminue les dommages oxydatifs induits par un agent toxique, le tétrachlorure de carbone (CCl4), dans les tissus hépathiques et rénaux (Güven et al., 2003). Dans cette expérimentation, le kéfir a un pouvoir antioxydant supérieur à celui, bien connu, de la vitamine E.

23Guzel-Seydim et al. (2006) ont estimé le potentiel anticarcinogène de la fraction lipidique du kéfir à l'aide d'un test biologique rapide couramment utilisé pour évaluer le potentiel mutagène de composés chimiques (Ames). Dans cet essai, la matière grasse du kéfir, ainsi que celle du lait et du yaourt, diminue l'effet de certains agents mutagènes sur le révélateur biologique. La matière grasse du kéfir s'y révèle toutefois plus efficace pour diminuer l'effet mutagène de ces agents que la matière grasse du lait et a une action plus large que celle du yaourt : l'effet mutagène de l'azoture de sodium est réduit avec la matière grasse du kéfir mais pas avec celle du yaourt.

24La modulation des défenses immunitaires est la finalité visée par l'équipe de Kabayama (1997) dans leur recherche de composés alimentaires anti-stress. Dans cette optique, la fraction lipidique du kéfir et le kéfirane ont des propriétés intéressantes : ils inhibent ou réduisent l'action négative d'hormones de stress sur la production d'interféron ß, un facteur humoral non spécifique du système immunitaire, par une lignée de cellules humaines.

25Un autre aspect examiné est celui lié à la réponse de type allergique du système immunitaire. Chez les souris, l'ingestion de kéfir frais ou lyophilisé diminue la réponse immunitaire spécifique à un allergène alimentaire, l'ovalbumine (Umeda et al., 2005 ; Liu et al., 2006a). L'ingestion de kéfir lyophilisé réduit aussi la réponse inflammatoire de la muqueuse bronchique provoquée par réaction allergique chez la souris. Dans cette expérience, l'ingestion de kéfir diminue le taux d'indicateurs de la réponse immunitaire (IgE et cytokines) et, en parallèle, les manifestations asthmatiques de broncho-constriction et de production de mucus provoquées par la réponse immunitaire à l'allergène (Lee et al., 2007).

26Une potentialité hypocholestérolémiante du kéfir a également été étudiée mais les résultats sont controversés. Encourageants au niveau de la capacité d'assimilation de cholestérol par la microflore du kéfir et de l'effet hypocholestérolémiant du kéfir sur des animaux de laboratoire, les résultats ne se vérifient pas en expérimentation humaine. Vujičić et al. (1992) ont ainsi mesuré une diminution de la teneur en cholestérol ajouté à du lait après fermentation par des grains de kéfir et, en modèle animal, Liu et al. (2006b) rapportent que l'ingestion de kéfir a tendance à réduire le taux de cholestérol sanguin de hamsters nourris avec une alimentation enrichie en cholestérol. Cependant, dans l'expérimentation de St-Onge et al. (2002), conduite sur des hommes souffrant d'hypercholestérolémie modérée, le kéfir ne génère aucune différence du taux de cholestérol sanguin, total ou de ses composants LDL ou HDL, par rapport à une consommation équivalente de lait.

27Le kéfir et le jus de soja fermenté ont par ailleurs des propriétés intéressantes vis-à-vis d'enzymes intervenant dans des mécanismes de régulation physiologique. Certains peptides issus de kéfir préparé avec du lait de chèvre ont ainsi une activité inhibitrice à l'encontre de l'enzyme de conversion de l'angiotensine impliquée dans l'augmentation de la pression artérielle (Quiros et al., 2005). La préservation de leur activité dans des essais de simulation de la digestion gastro-intestinale laisse entrevoir une fonctionnalité anti-hypertensive de ces peptides de kéfir. La fermentation de jus de soja par un ferment de kéfir diminue par contre l'activité inhibitrice naturelle du jus de soja à l'encontre de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (Kwon et al., 2006). Son action pourrait néanmoins avoir un intérêt vis-à-vis d'un autre aspect de la santé : celui du diabète postpandrial. La fermentation du jus de soja par un ferment de kéfir module en effet aussi les activités inhibitrices naturelles du jus de soja à l'encontre d'enzymes intervenant dans le processus à l'origine de l'hyperglycémie postpandriale : l'α-amylase et les α-glucosidases. En réduisant l'activité inhibitrice à l'encontre de l'α-amylase et en augmentant celle à l'encontre des α-glucosidases, la fermentation améliorerait, selon Kwon et al. (2006), les potentialités du jus de soja comme alternative thérapeutique à ce type de diabète : elle atténue l'inhibition enzymatique responsable des effets secondaires liés aux thérapies enzymatiques. L'inhibition excessive de l'α-amylase serait en effet responsable de la fermentation intestinale anormale et désagréable des carbohydrates non digérés, associée à la prise médicamenteuse d'inhibiteurs enzymatiques.

28Certains aspects santé envisagés relèvent de conséquences thérapeutiques ou d'applications diététiques spécifiques : réduction des effets secondaires de traitements par radiothérapie du cancer sur l'épithélium intestinal ou développement d'un lait fermenté à faible teneur en galactose pour les patients atteints de galactosémie. Ingéré par des rats, le kéfir a un effet protecteur à l'encontre de la destruction apoptotique des cellules intestinales induite par irradiation aux rayons-X (Matsuu et al., 2003). Lié à la dose d'exposition des rats aux rayons-X, l'effet protecteur du kéfir est dans ce cas significatif pour une dose équivalente à la moitié de celle administrée aux patients par séance de radiothérapie. Dans l'optique de proposer aux patients galactosémiques un produit laitier de consommation quotidienne, Varga et al. (2006) ont mesuré la capacité d'un ferment de kéfir, composé de plusieurs cultures bactériennes et de levures, à diminuer la teneur en galactose de lait à lactose hydrolysé. L'activité fermentaire de ce ferment de kéfir diminue la teneur en galactose du lait à lactose hydrolysé d'un facteur 8 mais le taux de galactose résiduel reste élevé en regard des recommandations médicales pour les jeunes patients galactosémiques.

5. Conclusion

29La législation alimentaire européenne a récemment été implémentée de façon à préciser les conditions d'octroi d'une allégation de santé et est d'application depuis le 1er juillet 2007. Elle prévoit la possibilité d'utiliser des allégations de santé dans des conditions définies. Cependant, la liste des allégations autorisées, et leurs conditions d'octroi, n'est pas encore disponible et ne permet en conséquence pas de juger de leur applicabilité au kéfir. Le législateur a prévu d'accorder d'autres allégations de santé que celles figurant sur cette liste. Leur octroi repose dans ce cas sur des preuves scientifiques dont la prépondérance est donnée aux tests sur l'homme. Pour satisfaire aux exigences du législateur européen, qui prend l'avis de son autorité scientifique, l'effet d'un aliment ou d'un ingrédient alimentaire sur un aspect de la santé doit être démontré par des études cliniques.

30Les effets santé du kéfir ont fait l'objet d'un nombre conséquent d'études dont les résultats sont encourageants, notamment au niveau de l'action du kéfir, ou de certains de ses composants (matière grasse, polysaccharide), sur l'un ou l'autre aspect spécifique de la santé. Cependant, aucun des effets mis en évidence ou pressentis n'a à ce jour été confirmé sur l'homme. Par ce fait, le kéfir ne rencontre pas les conditions fixées par le législateur européen pour bénéficier d'une allégation de santé non explicitement autorisée.

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Voetnoten

Om dit artikel te citeren:

Véronique Ninane, Radegonde Mukandayambaje & Gilbert Berben, «Probiotiques, aliments fonctionnels et kéfir : le point sur la situation règlementaire en Belgique et sur les avancées scientifiques en matière d'évaluation des effets santé du kéfir», BASE [En ligne], volume 13 (2009), numéro 3, 459-466 URL : http://popups.ulg.be/1780-4507/index.php?id=4366.

Over : Véronique Ninane

Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W). Département Qualité des Productions agricoles. Chaussée de Namur, 24. B-5030 Gembloux (Belgique). E-mail : ninane@cra.wallonie.be

Over : Radegonde Mukandayambaje

Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W). Département Qualité des Productions agricoles. Chaussée de Namur, 24. B-5030 Gembloux (Belgique).

Over : Gilbert Berben

Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W). Département Qualité des Productions agricoles. Chaussée de Namur, 24. B-5030 Gembloux (Belgique).