BASE BASE -  Volume 14 (2010)  Numéro spécial 1 

Optimisation de la fertilisation azotée de cultures industrielles légumières sous irrigation

Nathalie Fonder

Epuvaleau Asbl. Avenue de la Faculté d'Agronomie, 2. B-5030 Gembloux (Belgique). E-mail : fonder.n@fsagx.ac.be

Benoît Heens

Services agricoles de la Province de Liège. Rue de Huy, 123. B-4300 Waremme (Belgique).

Dimitri Xanthoulis

Univ. Liège - Gembloux Agro-Bio Tech. Unité d'Hydrologie et Hydraulique agricole. Passage des Déportés, 2. B-5030 Gembloux (Belgique).

Résumé

Les essais ont été menés sur un projet de quatre ans et ont testé cinq cultures légumières pour optimiser la fertilisation azotée sous irrigation avec des eaux usées. Le site expérimental était localisé dans le périmètre irrigué développé autour de l'usine de production de légumes surgelés, Hesbaye Frost. Dépendant de la rotation effectuée par le fermier, dont une partie du champ était sous expérimentation, quatre cultures légumières ont été testées (épinard, haricot, carotte et fève) ainsi qu'une céréale (froment d'hiver). Suite à la mise en place des essais et aux conditions climatiques, les cultures d'épinard en 1999 et de froment en 2000 n'ont pas testé le facteur irrigation. Les facteurs d'expérimentation étaient trois niveaux de fertilisation azotée différents par rapport à un témoin ne recevant pas d'azote minéral complémentaire et un apport ou non d'eaux usées par irrigation. L'impact de ces facteurs a été mesuré sur les rendements et les reliquats azotés dans le sol après culture. Pour les trois cultures légumières de haricot, carotte et fève qui ont pu être irriguées, les rendements ont toujours été statistiquement supérieurs lorsqu'il y avait un apport d'eau complémentaire par irrigation avec les eaux usées. Le facteur fumure a favorablement amélioré les rendements de l'épinard et du haricot, ainsi que le taux de protéines des céréales. Par contre, les parcelles de carotte et de fève qui n'avaient reçu aucune fumure azotée pendant respectivement trois et quatre années consécutives et qui n'ont pas reçu de fertilisation pour leur culture, n'ont pas donné des rendements statistiquement inférieurs. Le facteur fumure, quel que soit le niveau de fertilisation, n'a pas donné des rendements différents pour ces deux cultures. Les reliquats azotés dans le sol après récolte sont restés acceptables et normaux tant que la fertilisation recommandée n'était pas dépassée ; la fertilisation maximale testée, outrepassant les conseils de fumure raisonnée, a systématiquement laissé des reliquats en azote minéral dans le sol en quantité néfaste pour l'environnement. Ces résidus azotés principalement localisés dans les couches supérieures pouvaient être considérés comme récupérables par une culture intermédiaire piège à nitrate (CIPAN), pour autant que cette dernière soit installée dès la fin de l'été, l'automne étant considéré comme trop tardif que pour avoir une influence sur la récupération de l'azote. Quel que soit le niveau de fertilisation, les reliquats azotés étaient importants pour la culture de fève par un phénomène de minéralisation en surface, dus aux conditions climatiques et à la charge en azote minéral apporté par les eaux usées utilisées pour l'irrigation. Les reliquats azotés en conditions de non-irrigation sont significativement plus importants que sous irrigation. L'irrigation permet une meilleure solubilisation de l'azote, ce qui facilite son assimilation par la culture en place et réduit les quantités résiduelles dans le sol après récolte.

Mots-clés : cultures légumières, rendements, résidus azotés

Abstract

Optimisation of fertilisation for irrigated vegetables. Experiments were performed over four years, testing five cultivations to optimise mineral nitrogen fertilisation when irrigation with wastewater occurs. The experimental site was located inside an irrigated perimeter around the agro-food industry Hesbaye Frost, producing frozen vegetables, in Belgium. Depending on the crop rotation adopted by the farmer, four vegetable cultivations (spinach, bean, carrot and broad bean) and one cereal (winter wheat) were tested. Because of the time required for implementation of the experiment and meteorological conditions, the irrigation factor was not tested for spinach (1999) and wheat (2000) cultivations. The two experimental factors were three fertilisation levels, with comparison to a reference without any mineral nitrogen supply, and irrigation with or without wastewater. These factors were assessed for their impacts on crop yields and mineral nitrogen residues in the soil after harvest. The three vegetable cultivations of bean, carrot and broad bean were irrigated and systematically presented statistically higher yields with wastewater irrigation supply than without. The fertilisation factor also significantly improved all the yields, or protein rate for cereal cultivation, except for carrot and broad bean where differences were not significant, even for the zero fertilisation rate. The nitrogen residues in the soil after harvest were acceptable and regular as long as the fertilisation advice was not exceeded; the maximum fertilisation level tested, 50% higher than the recommendation, systematically left unacceptable nitrogen residues in the soil, harmful for the environment. Mainly located on the top surface horizon layers, the nitrogen residues could be held back by a catch crop classified as a nitrogen trap, with the condition to be set on late summer, with fall being considered as too late to have any influence to avoid nitrogen leaching. For all fertilisation levels, nitrogen residues were too high for the broad beans cultivation because of the phenomenon of surface mineral nitrogen release, due to meteorological conditions and the wastewater high nitrogen load brought by irrigation. The nitrogen residues under conditions of no irrigation were higher than under irrigation. Irrigation allowed better nitrogen solubility, easier for uptake by the plants and thus left fewer residues in the soil.

Keywords : fertilisation, irrigation, fertilisation, irrigation, vegetable crops, wastewater reuse, nitrogen residue

1. Introduction

1Le site expérimental est localisé sur sol limoneux dans le périmètre irrigué développé autour de l'usine de production de légumes surgelés, Hesbaye Frost. Les eaux usées utilisées par l'usine pour le lavage, l'épluchage et le blanchiment des légumes sont rassemblées dans un bassin de stockage aéré de 110 000 m2. Les buts de ce bassin sont d'absorber les variations entre la production continue d'eaux usées par l'usine et la demande saisonnière en irrigation ainsi que de neutraliser le pH de l'eau. L'aération évite la sédimentation des boues associées, ainsi que la fermentation qui produirait des odeurs nauséabondes dans le voisinage résidentiel de l'usine (Bernaerdt et al., 1996). Lorsque les cultures légumières situées dans le périmètre irrigué développé autour de l'usine ont un besoin en eau, les eaux usées sont pompées via une station de pompage relais et envoyées sous pression dans le réseau de canalisations souterraines (18 km de long) ; les agriculteurs connectent leur canon asperseur à l'un des 160 hydrants le plus proche de leur champ pour pouvoir irriguer par aspersion.

2Tout en respectant la rotation culturale sur la parcelle de l'agriculteur accueillant notre expérimentation, quatre cultures légumières ont été étudiées (épinard, haricot, carotte et fève) ainsi qu'une céréale (froment d'hiver). Les cultures d'épinard (1999) et de froment (2000) n'ont pas testé le facteur irrigation dû à des conditions climatiques et organisationnelles.

3Le but de l'expérimentation est de déterminer la fertilisation azotée qui assure, pour les cinq cultures testées, les meilleurs rendements et garantit un résidu minimal en azote minéral dans le sol après culture lors d'irrigation avec des eaux usées industrielles.

2. Matériel et méthodes

4Les facteurs d'expérimentation sont :

5– le facteur irrigation : irrigation ou non de la culture avec les eaux usées industrielles du réseau,

6– le facteur fumure : trois niveaux de fertilisation en azote minéral, par rapport à un témoin qui ne reçoit pas d'azote minéral.

7Le dispositif expérimental est un split plot à deux étages à quatre répétitions, en sous-blocs : le facteur irrigation non aléatoire et le facteur fumure aléatoire. Les blocs d'essais sont localisés dans la même unité pédologique au sens de la Carte Numérique des Sols de Wallonie. L'implantation des essais en champ se fait au théodolite en prenant des repères fixes extérieurs au champ pour assurer la reproduction du dispositif d'une culture à l'autre. La fumure azotée conseillée est déterminée à l'aide du logiciel AZOBIL (Machet et al., 1990) et tient compte notamment des réserves du sol en azote minéral mesurées juste avant l'implantation de la culture et de l'azote qui sera libéré en cours de culture par minéralisation. Les trois doses étudiées sont : dose recommandée N AZOBIL, 1/2 N et 3/2 N par rapport au témoin sans azote.

8Pour rappel, durant ces essais, l'indicateur environnemental APL (Azote Potentiellement Lessivable) n'était pas encore défini. Cet indicateur a été créé en 2002 avec le PGDA (Programme de Gestion Durable de l'Azote) en application de la Directive Nitrates (91/676/ECC).

9Les paramètres mesurés sont :

10– le rendement pour chaque parcelle,

11– l'azote minéral du sol, mesuré dans les parcelles d'essai jusqu'à une profondeur de 1,5 m ; une première fois dans les huit parcelles recevant la fumure N avant semis pour le calcul du conseil de fumure puis après récolte, dans les 32 parcelles de l'essai pour établir le bilan azoté,

12– la composition en azote, phosphore et potassium des eaux usées épandues par irrigation,

13– le profil hydrique, suivi par un relevé hebdomadaire de sondes TDR.

3. Résultats et discussion

3.1. Impact des facteurs irrigation et fumure sur les rendements

14Le tableau 1 synthétise les résultats obtenus par culture, pour les principaux paramètres mesurés, selon les facteurs " irrigation " et " fertilisation azotée ".

Image1

15Pour la première culture légumière d'épinard, seul le facteur fumure azotée a été appliqué. Tout le parcellaire expérimental a été sous irrigation et le facteur non-irrigation n'a pas été testé. Le profil en azote minéral mesuré dans le sol avant culture était de 36 kg N-NO3-.ha-1 sur 90 cm de profondeur. Sur base des caractéristiques du champ et de ce profil, le conseil calculé avec le logiciel AZOBIL était de 184 kg N.ha-1 (dose N). La moitié (93 kg N.ha-1) et 3/2 de cette dose (278 kg N.ha-1) ont également été testés par rapport au témoin sans azote. La fumure a été fractionnée en deux apports : une première fraction au semis et la seconde au stade de quatre feuilles de l'épinard. L'essai a été irrigué à deux reprises dans la quinzaine précédant la récolte.

16Les rendements ont été significativement différents pour tous les niveaux de fumure étudiés. Les rendements augmentent avec la dose d'azote appliquée mais le gain de rendement par rapport à la quantité d'azote apportée diminue fortement lorsqu'une dose supérieure à l'optimum recommandé est appliquée. Une moins bonne utilisation de l'azote est constatée lorsque les quantités apportées augmentent, le Coefficient Apparent d'Utilisation de l'azote (CAU) passe de 80 % pour la dose 1/2 N à 50 % pour la dose 3/2 N). En outre, le reliquat d'azote dans le sol à la récolte, faible pour le témoin et la dose 1/2 N (20 kg N.ha-1) reste acceptable pour la dose N (55 kg N.ha-1) mais devient excessif pour la dose 3/2 N (152 kg N.ha-1). Parallèlement, une augmentation de la quantité d'azote exporté par la plante et de la teneur en nitrate dans la plante est mesurée en fonction de la dose d'azote appliquée. En ce qui concerne l'analyse du nitrate dans les feuilles à la récolte, les valeurs mesurées restent en moyenne acceptables pour tous les niveaux de fumure (norme européenne de 2 500 mg.kg-1 de matière fraiche).

17Un mois s'étant écoulé entre la récolte des épinards et le semis de haricot, les parcelles ont à nouveau été échantillonnées afin d'établir le conseil de fumure pour cette seconde culture de l'été 1999. Soixante-huit kg N-NO3-.ha-1 sur 90 cm de profondeur ont été mesurés dans le profil avant le semis des haricots, témoignant la minéralisation des résidus de récolte des épinards. Le conseil de fumure AZOBIL a proposé 51 kg N.ha-1 pour la dose optimale. La moitié (27 kg N.ha-1) et 3/2 de cette dose (77 kg N.ha-1) ont également été testés par rapport au témoin sans apport en azote minéral. La culture a bien répondu à la fumure azotée et la valorise par des rendements statistiquement plus élevés en fonction des fumures croissantes. L'irrigation a également significativement amélioré les rendements par rapport à la non-irrigation. L'azote organique total exporté par les haricots est significativement plus élevé pour la fumure recommandée et pour la dose 3/2 N que pour le témoin et la moitié de la dose recommandée. La teneur en matière sèche des haricots est inférieure en conditions d'irrigation, la plante n'est pas en condition limitante en eau. Par conséquent, l'absorption de l'azote par la plante (tiges, feuilles et gousses) est meilleure, induisant un accroissement sensible du rendement et une diminution significative des reliquats d'azote dans le sol après culture (CMH, 1994). Les reliquats azotés sont nettement et statistiquement inférieurs en conditions d'irrigation par rapport à la non-irrigation. Ces derniers ne dépassent les 50 kg N.ha-1 sur 60 cm de profondeur que lorsque le niveau de fumure est au-delà de la fumure recommandée. L'azote en excès étant essentiellement situé dans les couches supérieures du sol, il sera en partie récupéré par le froment semé rapidement après la récolte (Magein, 1993). L'examen des racines montre que le nombre de nodules diminuent avec l'augmentation de la fumure azotée, la fonction symbiotique est surtout activée en conditions limitantes en azote (CMH, 1994). Dans l'ensemble, les analyses révèlent qu'en conditions d'irrigation, l'azote est prélevé en quantité supérieure par l'ensemble de la plante en laissant un reliquat azoté dans le sol inférieur par rapport à la non-irrigation.

18L'azote minéral présent dans le profil en fin d'hiver sous culture de froment était de 90 kg N.ha-1 sur 1,5 m de profondeur. La fumure optimale recommandée était de 149 kg N.ha-1. La fumure 3/2 N maximale appliquée était de 221 kg N.ha-1 et la dose 1/2 N minimale de 75 kg N.ha-1. L'année 2000 ayant été exceptionnellement pluvieuse, combiné à l'enracinement profond des céréales et leur capacité à aller chercher l'eau en profondeur, le facteur irrigation n'a pas été testé. Pour la variété rustique testée, de bons rendements ont été obtenus. Les trois niveaux de fertilisation ne se distinguent en termes de rendement que par rapport au témoin sans azote. Ceci suggère que l'excès azoté non valorisé par la culture est gaspillé, avec un risque de verse plus important lorsque la fumure est excessive. L'impact de la fertilisation s'est par contre favorablement marqué au niveau de la teneur en protéines, facteur important pour les variétés de froment panifiables. Les céréales sont généralement reconnues pour avoir la capacité de récupérer des reliquats azotés, de par le semis hâtif et leur enracinement profond (Dautrebande et al., 1993). En ce qui concerne les reliquats en azote minéral dans le sol, ils sont peu élevés pour le témoin, la dose 1/2 N et la dose recommandée. Par contre, ils sont excessifs pour la dose 3/2 N, montrant que l'exagération volontaire durant ces trois cultures successives dépasse la capacité de récupération de cette variété de froment. La distribution spatiale du profil azoté montre cependant que les résidus sont principalement présents dans les couches supérieures du sol et sont dès lors récupérables par la culture intermédiaire piège à nitrate.

19Le profil azoté dressé avant la quatrième culture de carotte en 2001 fait état de 33 kg N.ha-1. Les niveaux de fumure étudiés sont de 20 kg N.ha-1 (dose 1/2 N) à 60 kg N.ha-1 (dose 3/2 N), avec 40 kg N.ha-1 comme recommandation. La culture de carotte ne se distingue pas en termes de rendements selon le facteur fumure, mais présente des rendements significativement différents pour le facteur irrigation, en faveur de l'irrigation. La tendance actuelle est effectivement de ne pas apporter d'azote complémentaire pour les cultures de carotte dans cette région de Belgique (Xanthoulis et al., 1996). Vu les rendements obtenus sur les parcelles témoins (plus de 73 t.ha-1), une fertilisation azotée ne présente pas d'intérêt. Une fertilisation complémentaire n'est apportée que pour un bon développement foliaire. En effet, l'arrachage étant mécanisé, les carottes sont extraites du sol par soulèvement et emportées par le feuillage vers une trémie. Il est donc important d'avoir un développement foliaire correct. La quantification de l'azote exporté par les racines montre que l'azote apporté en excès s'y accumule de manière croissante avec les doses de fertilisation, pour des teneurs en matière sèche égales. L'irrigation permet par contre une diminution de la teneur en azote dans les racines ; la teneur en matière sèche diminue avec l'irrigation, reflet d'une meilleure circulation en eau dans la carotte et d'une meilleure utilisation de l'azote, marqué par des rendements supérieurs. Le profil azoté montre des reliquats majoritairement présents dans la couche supérieure du sol. Ces reliquats restent acceptables (< 35 kg N-NO3-.ha-1) et se distinguent significativement uniquement pour la dose 3/2 N. Ils sont également inférieurs en conditions d'irrigation. La localisation, essentiellement dans les 60 premiers cm du sol, de l'azote minéral mesuré dans le profil traduit notamment l'action de la culture intermédiaire piège à nitrate (phacélie). Les excès précédemment mesurés ne se retrouvent plus. Un labour a été réalisé en hiver.

20La culture de fève des marais a été semée au printemps. Le conseil de fumure proposé, suite à la mesure de 60 kg N-NO3-.ha-1 dans le profil, était le même que pour la culture précédente de carotte (0-20-40-60 kg N.ha-1). Le facteur fertilisation azotée n'a pas eu d'influence significative sur les rendements. Ce résultat n'est pas surprenant vu la capacité de la fève des marais à fixer l'azote atmosphérique nécessaire à son besoin (symbiose avec Rhizobium). La grande différence entre les écarts provient d'une part, de la méthodologie de prélèvement différente pour quelques parcelles endommagées durant les essais et d'autre part, de la localisation topographique de ces mêmes parcelles en des zones plus humides, plus favorables à la croissance des fèves. Par contre, le facteur irrigation a une influence significative sur les rendements. La tendérométrie est un indice de tendreté, défini par une échelle de points mesurant la résistance à l'écrasement. Cet indice n'est pas influencé significativement par la fertilisation azotée, ni par l'irrigation. Les reliquats azotés dans le sol après récolte ne dépendent pas du niveau de fumure, mais sont significativement différents selon le facteur irrigation. C'est en situation irriguée que les reliquats sont les plus importants. L'analyse du profil montre que les reliquats sont en grande partie localisés dans les 30 premiers cm du sol. Ces reliquats plus importants en surface peuvent être expliqués par un surcroît de minéralisation en conditions d'irrigation à cette époque de l'année (culture d'été), d'autant plus que les eaux usées étaient particulièrement chargées en azote organique (Figure 1). Cette culture est suivie d'une culture intermédiaire piège à nitrate, dans l'optique de soustraire à la lixiviation l'azote nitrique laissé par la culture de fève des marais.

Image2

21Dans l'ensemble, toutes les cultures irriguées ont présenté des rendements significativement différents, favorablement influencés par l'irrigation. Seuls les rendements des cultures de fève des marais et de carotte n'ont pas été influencés significativement par une fertilisation azotée croissante. Les doses d'azote croissantes se retrouvent également en quantité croissante dans les plantes, pour l'épinard, le haricot et la carotte, sans augmentation de la teneur en matière sèche. L'irrigation permet une moindre accumulation d'azote dans les plantes, avec une teneur en matière sèche inférieure, par rapport à la non-irrigation. Les niveaux de fertilisation azotée testés laissent des résidus acceptables dans le sol jusqu'à la dose recommandée, mais deviennent excessifs une fois que le conseil de fumure est dépassé. Par leur localisation dans les couches supérieures du sol, les excédents sont cependant récupérables par une gestion raisonnée de l'interculture et cultures CIPAN (Culture intermédiaire piège à nitrate) pour autant qu'elles soient rapidement installées (avant le 15 septembre).

3.2. Impact des facteurs irrigation et composition des eaux usées sur les reliquats azotés

22La figure 1 montre l'impact de l'irrigation sur le profil azoté, en relation avec la composition des eaux usées utilisées lors des irrigations.

23Pour les trois cultures qui ont servi à tester le facteur irrigation, les reliquats azotés dans le sol (toutes fertilisations confondues) sont principalement localisés dans les quatre couches supérieures et deviennent négligeables dès 60 cm de profondeur. A l'exception de la couche de surface pour la fève des marais, l'irrigation a permis l'obtention de reliquats en quantité inférieure par rapport à la non-irrigation. L'irrigation permet une solubilisation de l'azote nitrique plus efficace, une meilleure absorption par les racines (CMH, 1991 ; Magein, 1993), ce qui a systématiquement et significativement engendré de meilleurs rendements et laissé des reliquats azotés dans le sol après récolte en moindre quantité.

24La culture de haricot est suivie d'une minéralisation importante de l'azote en surface, dans le cas des parcelles non irriguées. Par opposition, les plants de haricot des parcelles irriguées ont probablement, sous l'action de l'eau d'irrigation, exploité cette nouvelle source azotée à des fins de production (Gillet, 1999), les rendements obtenus étant significativement supérieurs en conditions d'irrigation par rapport à la non-irrigation. Les reliquats azotés sont également significativement inférieurs sous irrigation (Kim et al., 1997). La charge en éléments nutritifs apportés par les eaux d'irrigation est négligeable, principalement celle en azote.

25La culture de carotte a présenté des rendements significativement supérieurs en conditions d'irrigation par rapport à la non-irrigation. Par contre, les reliquats azotés dans le sol après récolte ne se distinguent pas significativement, quelles que soient les conditions d'irrigation. Un léger impact positif de l'irrigation est mesuré. L'apport en éléments nutritifs par les eaux d'irrigation est faible. Nonante pourcent de l'azote est sous forme organique et donc non disponible rapidement pour les carottes (Xanthoulis et al., 1996).

26Les reliquats importants en surface pour la culture de fève des marais témoignent d'un effet de minéralisation de surface plus intense sous irrigation, ce qui est contraire aux observations précédentes. Dans ce cas précis, l'origine de ce phénomène s'explique par un surcroît de minéralisation en conditions d'irrigation à cette époque de l'année (culture d'été) (Geypens et al., 1995), d'autant plus que les eaux usées étaient particulièrement chargées en azote organique. Cette importance de la charge organique des eaux usées s'explique par le moindre remplissage du bassin de stockage. La hauteur d'eau dans le bassin lors des irrigations n'était que de 60 cm. L'eau est donc plus riche en sédiments malgré une aération réduisant le phénomène (Bernaerdt et al., 1996). Lors du pompage de l'eau, ces sédiments sont partiellement envoyés dans le réseau d'irrigation. La charge apportée par l'eau d'irrigation est de 25 et 42 kg N.ha-1, dont plus de 20 % est sous forme ammoniacale, rapidement disponible pour les plantes (Lecompt, 1965). En outre, les fèves à cette date sont au stade de fructification et maturation et ne prélèvent donc plus à des fins de croissance (Meersschaert et al., 1992). Cet apport extérieur n'est pas prélevé par la plante et est perdu pour les sols. La charge en potassium est également particulièrement élevée et doit être prise en compte lors du calcul de la fumure de fond qui sera apportée pour la culture, sous peine d'avoir des nuisances par excès. Des cultures sensibles telles que la betterave pourraient subir des dommages pour ces doses de potassium (Hauser, 1985). Par contre, dès que ce phénomène de surface est dépassé et que l'on regarde les couches de mi-profondeur, on retrouve les observations classiques de reliquats azotés inférieurs en conditions d'irrigation. La culture de fève n'a pas réagi au facteur fertilisation, en termes de rendement. Il est probable que ce surplus d'azote non utilisé a été lixivié, ce qui explique les reliquats azotés supérieurs aux grandes profondeurs en conditions d'irrigation, quoique la différence soit minime. Ils sont cependant présents en plus grande quantité dans le fond du profil que sur toutes les autres cultures. Les quantités qui seront lixiviées en profondeur restent acceptables par la norme européenne, les reliquats de surface seront récupérés par la culture intermédiaire piège à nitrate semée après la récolte des fèves.

27En conclusion, on remarque que l'irrigation engendre dans l'ensemble des rendements supérieurs et diminue les reliquats azotés dans le sol après récolte. Il faut néanmoins surveiller la composition des eaux usées épandues pour un éventuel impact en surface d'une charge supplémentaire en éléments nutritifs. Une bonne gestion des irrigations, une fumure raisonnée et une gestion raisonnée de l'interculture permettent de ne pas polluer les aquifères par la lixiviation du nitrate en profondeur.

3.3. Profil hydrique

28Les profils hydriques sont mesurés à l'aide de sondes dites TDR (Time Domain Reflectometry), utilisées comme base de mesurage. Ces sondes permettent l'observation de tendances générales sur base de moyennes annuelles. Seules des tendances peuvent se dégager de ces mesures, au vu de la très grande hétérogénéité spatiale observée et de la dépendance des mesures aux conditions météorologiques de température et de pluviométrie (Magesan et al., 2000). L'observation des mesures montre que quel que soit le facteur irrigation, des différences réelles de teneurs en humidité ne concernent que les premières couches de sol, jusqu'à une profondeur de 45 cm dans l'ensemble. Au-delà de 45 cm, la teneur en humidité volumique est quasi constante durant la saison culturale, en régime irrigué ou non, semblable d'une année à l'autre, d'une culture à l'autre, quelle que soit la profondeur d'enracinement. Les observations montrent une augmentation de la teneur en eau due au facteur irrigation pour les couches supérieures. En profondeur, le décalage s'inverse pour donner des teneurs inférieures en conditions d'irrigation. L'irrigation offre de meilleures conditions de croissance aux plantes et la demande en eau est alors plus grande, le prélèvement en eau dans le stock hydrique du sol est plus important et la teneur en eau du sol diminue (Meersschaert et al., 1992). Le développement végétatif de la culture montre que, quel que soit le facteur irrigation, les couches supérieures s'assèchent durant la saison culturale tant que l'on est dans la zone d'action racinaire. Au-delà de la profondeur de 45 cm, on observe un statu quo hydrique entre le début et la fin de la culture. Le sol reste bien pourvu en eau en profondeur durant toutes les saisons culturales. Les profils TDR démontrent également que l'irrigation fournit de l'eau en quantité uniquement pour combler les besoins en eau des plantes, mais pas pour restaurer la capacité au champ des sols, au-delà de laquelle l'infiltration peut avoir lieu. La teneur en humidité des couches supérieures du sol en conditions d'irrigation montrent clairement que l'apport en eau se limite au bulbe racinaire et qu'aucun excès en eau ne percole en bas du profil suite à ces irrigations. Les bonnes pratiques en irrigation ne contribuent donc pas à la lixiviation des nitrates vers les horizons de sol plus profonds.

4. Conclusion

29Ce premier essai a étudié l'influence de trois niveaux de fertilisation azotée sur les rendements et les reliquats azotés dans le sol après culture par rapport à un témoin ne recevant pas d'azote minéral complémentaire, sur quatre cultures légumières (épinard, haricot, carotte et fève des marais) ainsi que sur un froment d'hiver.

30Le second facteur étudié est l'influence d'un apport ou non d'eaux usées par irrigation sur le rendement et le reliquat azoté. Toutes les cultures qui ont été irriguées présentent des rendements significativement différents, favorablement influencés par l'irrigation. Seuls les rendements des cultures de fève des marais et de carotte n'ont pas été influencés significativement par une fertilisation azotée croissante ; ces cultures présentent des bons rendements sans fertilisation azotée. Les doses d'azote croissantes se retrouvent également en quantité croissante dans les plantes (épinard, haricot et carotte), sans augmentation de la teneur en matière sèche. L'irrigation permet une moindre accumulation d'azote dans les plantes, avec une teneur en matière sèche inférieure, par rapport à la non-irrigation. Les niveaux de fertilisation azotée testés laissent des reliquats acceptables dans le sol jusqu'à la dose recommandée, mais deviennent excessifs une fois que le conseil de fumure est dépassé.

31En général, l'irrigation engendre des rendements supérieurs et diminue les reliquats azotés dans le sol après récolte. Il faut néanmoins surveiller et intégrer la composition (N, P, K) des eaux usées épandues pour un éventuel impact en surface d'une charge supplémentaire en éléments fertilisants.

32Le suivi des profils hydriques montre, par l'assèchement du sol, le prélèvement en eau par les plantes dans les horizons de la zone d'enracinement. Au-delà de la profondeur racinaire, le sol reste en statu quo hydrique et bien pourvu tout au long de la saison culturale. L'impact de l'irrigation se marque par des teneurs en eau plus importantes dans les couches supérieures et à des profondeurs variables selon le délai écoulé entre l'irrigation et la prise de mesure.

33Dans le cadre de ces essais, un bon suivi des irrigations, une fumure raisonnée et une gestion de l'interculture permettent l'obtention de bons rendements, sans pollution des aquifères par la lixiviation du nitrate en profondeur.

5. Contribution au PGDA (Programme de Gestion Durable de l'Azote)

34Les résultats de ces essais permettent d'identifier trois principes directeur faisant l'objet de recommandations pour l'amélioration du PGDA actuel :

35– Les bonnes pratiques d'irrigation peuvent être soutenues sans restriction. Cette étude démontre clairement que toutes les cultures légumières testées en conditions d'irrigation et non-irrigation (haricot, carotte et fève des marais) présentent des meilleurs rendements sous irrigation et de surcroît, présentent des reliquats azotés post-récolte inférieurs. L'utilisation de la fertilisation azotée par les plantes est meilleure en conditions d'irrigation. Les engrais azotés se présentent sous forme de granulés et sont épandus sur le sol ; l'irrigation en permet une meilleure dissolution ; les prélèvements par les plantes sont plus efficaces, ce qui engendre moins de reliquats azotés ; les plantes utilisent l'azote pour une meilleur croissance, ce qui permet l'obtention de meilleurs rendements.

36– Les conseils de fumure avant l'implantation des cultures sont importants et pertinents. Les conseils de fumure doivent être promotionnés et une incitation forte doit être donnée aux agriculteurs à suivre et appliquer ces conseils. Les tests ont mis en évidence que les parcelles qui respectent les conseils de fumure laissent des reliquats azotés dans le sol considérés comme acceptables. Aucun gain statistique de rendements n'a accompagné une fertilisation plus élevée pour le froment d'hiver, la carotte et la fève des marais mais les fertilisations plus élevées se sont à chaque fois accompagnées d'une augmentation statistique du reliquat azoté dans le sol qualifié comme inacceptable en post-récolte. Les cultures d'épinard et haricot sont les seules à avoir répondu positivement par une augmentation de rendement à une fertilisation azotée supérieure. Elles se sont néanmoins accompagnées de reliquats azotés dans le sol en post-récolte jugés élevés. Toutes les parcelles testées avec une fertilisation azotée excessive ont des reliquats azotés dans le sol en post-récolte statistiquement supérieurs (à l'exception de la fève des marais) à ceux observés dans un contexte de fertilisation raisonnée.

37– Une fertilisation en routine n'est pas une nécessité et doit être évaluée avant toute culture légumière. Les parcelles qui ont été testées sans apport d'azote pendant trois et quatre années consécutives n'ont pas donné des rendements statistiquement inférieurs pour les cultures de carotte et fève des marais respectivement. Dans ces cas précis, les conseils de fumure étaient bas (40 kg N.ha-1) et ces essais montrent que ces deux cultures pouvaient recevoir une fertilisation inférieure. La fertilisation qui a été appliquée par les agriculteurs a été une perte financière et a contribué au risque de pollution nitrique. Les conseils de fumure peuvent être réduit de 40 kg N.ha-1 pour les cultures de carotte et fève des marais. Une réduction plus importante de ces fumures doit encore être expérimentée et démontrée. Les cultures d'épinard, haricot et de froment d'hiver n'ayant pas reçu de fertilisation azotée ont donné des rendements plus faibles. Leur fertilisation doit être maintenue, selon une gestion raisonnée, et plus spécifiquement échelonnée durant la saison de croissance et les étapes de développement pour la culture d'épinard.

38Remerciements

39Ces résultats ont été obtenus dans le cadre d'un projet Européen INCO-DC n°ERB IC 18 CT 98-0272, “ Sustainability and Optimisation of Treatments and Use of Wastewater in Agriculture ” du cinquième programme cadre (FP5). Ce projet a rassemblé sept partenaires méditerranéens sous la coordination belge entre 1998 et 2002. Des essais semblables ont été répliqués en Grèce, au Maroc, en Tunisie, à Chypre, en Israël et territoires sous autorité Palestinienne. Les essais ont été menés en Belgique grâce à la collaboration du Centre wallon de Recherches Agronomiques : le département Production végétale (M. Frankinet) et le département du Génie rural (O. Vitlox) ; l'Unité de Géopédologie de la FUSAGx (devenue ULg - Gembloux Agro-Bio Tech) (L. Bock) et les Services agricoles de la Province de Liège (R. Bernaerdt).

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Pour citer cet article

Nathalie Fonder, Benoît Heens & Dimitri Xanthoulis, «Optimisation de la fertilisation azotée de cultures industrielles légumières sous irrigation», BASE [En ligne], Numéro spécial 1, Volume 14 (2010), 103-111 URL : http://popups.ulg.be/1780-4507/index.php?id=4958.